13 août 2025

Quand un chat privé devient du harcèlement au travail

Quand un chat privé devient du harcèlement au travail : retour sur la décision Metrolinx

Les temps changent et les tribunaux nous rappellent que les préjugés et stéréotypes concernant les victimes de violences sexuelles peuvent mener à un raisonnement juridique erroné.

Aujourd’hui, les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle sont plus poreuses que jamais, façonnées par le télétravail et par l’essor de plateformes comme TikTok, Teams, Slack et WhatsApp, multipliant ainsi les lieux d’échanges et d’interactions entre employés — et, avec eux, les risques associés. L’obligation de l’employeur de prévenir et de gérer le harcèlement ne s’arrête pas à la porte du bureau. Les organisations doivent porter une attention particulière à ces dynamiques, car un comportement inapproprié en dehors du cadre de travail traditionnel peut avoir un impact réel et durable sur le milieu de travail, et potentiellement déclencher leurs obligations légales.

L’affaire Metrolinx

En avril 2021, Metrolinx a congédié cinq employés après avoir pris connaissance d’un groupe de discussion privé sur WhatsApp dans lequel ces employés faisaient des commentaires négatifs, désobligeants et sexistes au sujet de leurs collègues féminines. Ces commentaires comprenaient également une référence à une collègue, Mme A, qui aurait accordé des faveurs sexuelles pour obtenir une promotion.

L’arbitre qui a entendu l’affaire a ordonné la réintégration des employés. Dans un jugement récent, la Cour d’appel de l’Ontario[1] (la « Cour ») a confirmé la décision de la Cour divisionnaire d’annuler la décision de l’arbitre et a rappelé plusieurs principes importants aux employeurs :

  • La responsabilité d’un employeur de prévenir et de gérer le harcèlement peut s’étendre au-delà de l’espace de travail physique.
  • S’appuyer sur des mythes et stéréotypes concernant les victimes de violences sexuelles est une erreur en droit.
  • Une plainte formelle n’est pas nécessaire pour déclencher l’obligation d’enquêter.
  • Les communications privées en dehors du travail peuvent légitimement entrer dans le cadre d’une enquête en milieu de travail si elles ont un impact sur l’environnement de travail.

La responsabilité de l’employeur

Dans ses motifs, la Cour a réaffirmé que l’obligation de l’employeur de prévenir et de gérer le harcèlement ne se limite pas au lieu de travail physique, et que la conduite en dehors des heures de travail – comme les discussions sur des groupes privés ou les messages sur les réseaux sociaux – peut déclencher des obligations légales lorsqu’elle affecte l’environnement de travail.

Dans cette affaire, Mme A a reçu des captures d’écran des messages offensants et a été bouleversée au travail. Bien que l’arbitre ait souligné le caractère privé du groupe WhatsApp et que les messages aient été envoyés sur des appareils personnels en dehors des heures de travail, la Cour a estimé que, indépendamment de l’origine ou de l’intention, la conduite s’était frayée un chemin sur le lieu de travail et était devenue un problème de travail. La Cour a noté que :

Cela n’est guère surprenant compte tenu de la nature des réseaux sociaux et du fait que le nombre d’employés ayant accès à la discussion n’était pas connu. Les employés qui ont participé à la discussion étaient libres de transférer le message à d’autres employés, et c’est ce qu’ils ont fait.[2] 

(traduction libre)

Mythes et stéréotypes sur les victimes de violence sexuelle

Les motifs de la Cour expliquent en quoi la sentence arbitrale n’a pas su, tant sur le plan juridique que conceptuel, tenir compte des réalités du harcèlement au travail et du contexte évolutif dans lequel il survient.

L’arbitre a notamment tiré une conclusion défavorable de l’hésitation de Mme A à déposer une plainte et a conclu à l’absence de harcèlement. Selon ses motifs, la décision de Mme A de ne pas porter plainte après avoir vu le message texte indiquait qu’elle ne pensait pas être « victime de harcèlement sexuel et/ou … vivre un environnement de travail hostile ou empoisonné »[3] (traduction libre).

La Cour divisionnaire a estimé que la conclusion de l’arbitre était déraisonnable car elle était fondée sur des mythes et des stéréotypes dépassés concernant le comportement des victimes. En effet, cette présomption reflète une incompréhension fondamentale de la dynamique du harcèlement au travail. Comme l’a souligné la Cour divisionnaire, les victimes peuvent avoir des raisons valables de ne pas déposer de plainte officielle – des raisons qui ne nient pas l’existence du harcèlement ou l’obligation de l’employeur d’enquêter et d’assurer un environnement de travail sécuritaire.

La réticence d’une victime à signaler ou à déposer une plainte de harcèlement sexuel peut être due à de nombreux facteurs : l’embarras, la peur des représailles, la perspective d’une nouvelle humiliation, ou simplement l’espoir que, si on les ignore, les commentaires ou comportements dégradants cesseront.[4]

(traduction libre)

En d’autres termes, le fait qu’un employé signale un incident de harcèlement sans déposer une plainte formelle ne doit pas être considéré comme « la fin de l’affaire ».[5]

Obligation légale d’enquêter

L’obligation d’enquêter ne dépend pas d’une plainte formelle. Comme l’illustre l’affaire Metrolinx, les discussions sur des groupes privés et en ligne – même lorsqu’elles sont créées en dehors des heures de travail – peuvent avoir des conséquences réelles sur le milieu de travail, et les victimes peuvent être réticentes à porter plainte. En vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail[6], les employeurs ont l’obligation légale d’enquêter non seulement sur les plaintes formelles, mais aussi sur les incidents de harcèlement au travail. Cette obligation s’applique à l’environnement de travail au sens large et protège tous les employés – et pas seulement la cible directe – contre les comportements humiliants et offensants.[7]

Enquêtes en milieu de travail et droit à la vie privée

La décision de la Cour souligne en outre que les attentes en matière de protection de la vie privée pour des activités sur les réseaux sociaux en dehors des heures de travail diminuent lorsque ces communications ont une incidence négative sur le milieu de travail.

Bien que l’arbitre ait conclu que l’enquêteur de l’employeur s’était immiscé dans les conversations privées des employés sur leur téléphone cellulaire sans leur consentement, la Cour a statué que ces communications entraient dans le cadre de l’enquête en milieu de travail.

Les employeurs ont le droit de demander des informations pertinentes lors d’une enquête en milieu de travail. Dans le cas présent, lorsque l’un des employés a fait référence à la discussion sur le groupe WhatsApp au cours de sa rencontre avec l’enquêteur, ce dernier était en droit d’examiner ces messages.

Conseils pratiques pour les professionnels des ressources humaines et du droit

  • Déploiement de formations sur la gestion des signalements et des plaintes et sur l’approche sensible aux traumas

Cette décision renforce l’importance d’adopter une approche sensible aux traumas pour les cas de harcèlement, notamment en évitant les suppositions sur la manière dont les victimes « devraient » se comporter. La formation des professionnels en ressources humaines, des enquêteurs internes et des gestionnaires peut contribuer à faire en sorte que les dénonciations soient traitées avec sensibilité et que des mythes ou des stéréotypes dépassés n’influencent pas les décisions.

  • Révision des politiques internes

Cette décision souligne également la pertinence de réviser les politiques internes pour s’assurer qu’elles indiquent clairement que des enquêtes peuvent être menées sur la base de comportements observés et de signalements informels, sans qu’une plainte officielle ne soit déposée. Il devrait également être clair que tout comportement en dehors du travail, notamment sur les réseaux sociaux, qui a un impact sur le milieu de travail peut entraîner des mesures disciplinaires.

[1] Metrolinx v. Amalgamated Transit Union, Local 1587, 2025 ONCA 415.

[2] Ibid., para. 40.

[3] Amalgamated Transit Union – Local 1587 (Juteram et al) v The Crown in Right of Ontario (Metrolinx), 2023 CanLII 72192 (ON GSB), para. 126.

[4] Metrolinx v. Amalgamated Transit Union, Local 1587, 2024 ONSC 1900 (CanLII), para. 59.

[5] Ibid., para. 47.

[6] Loi sur la santé et la sécurité au travail, LRO 1990, c O.1.

[7] 2025 ONCA 415, para. 36.

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