10 octobre 2025
Jurisprudence Express – Octobre 2025
Jurisprudence Express – Octobre 2025
Bienvenue à cette deuxième édition de Jurisprudence Express! Dans ce numéro, nous vous proposons un tour d’horizon des décisions marquantes des derniers mois : perception subjective, mesures de préventions, droit de gestion, une conduite grave, et plus encore. Des exemples concrets, des nuances juridiques, et des réflexions utiles pour votre pratique.
Une lecture incontournable pour alimenter vos réflexions et appuyer vos interventions juridiques.
Les décisions :
Gauthier c. Caisse Desjardins Pierre-Le Gardeur, 2025 QCTAT 803
Dans cette décision, le Tribunal s’est penché sur plusieurs recours déposés par une conseillère en finances personnelles, dont une plainte pour harcèlement psychologique.
La plaignante invoquait notamment avoir fait l’objet d’un plan de formation qu’elle jugeait inadéquat, des pressions indues, des affectations à des clients problématiques, des manquements à la conformité réglementaire, ainsi qu’un incident marquant impliquant l’utilisation non autorisée de son code d’accès par une gestionnaire. Elle soutenait également que l’absence de communication de l’employeur pendant son congé de maladie avait contribué à sa détresse psychologique.
Le Tribunal a conclu que les faits allégués, pris individuellement ou dans leur ensemble, ne satisfaisaient pas aux critères juridiques du harcèlement psychologique. Le Tribunal juge que la majorité des événements relatés proviennent de la perception subjective de la plaignante, telle que sa croyance que le plan de formation était conçu pour la faire échouer[1] ou sa peur d’être liée au milieu criminel.[2]
L’analyse met en lumière la gestion proactive de l’employeur face aux dénonciations de la plaignante. Lors de l’incident impliquant une cliente agressive, le supérieur immédiat a immédiatement demandé le retrait de la cliente, un rapport de sécurité et à déclanché une enquête interne.
Concernant le plan de formation, le Tribunal a noté qu’il avait été élaboré par une conseillère expérimentée et ajusté en fonction des besoins exprimés par la plaignante. De plus, son supérieur immédiat lui a réitéré, par écrit, qu’elle ne serait jamais contrainte d’agir en contradiction avec ses principes de conformité. Le Tribunal a jugé que les allégations selon lesquelles l’employeur aurait délibérément cherché à la faire échouer étaient invraisemblables.
Le Tribunal a reconnu qu’il était inapproprié de la part d’une gestionnaire d’utiliser la session informatique de la plaignante pour autoriser un financement. Toutefois, le Tribunal a estimé que cela n’avait entraîné aucune conséquence concrète, et que les craintes exprimées par la plaignante étaient de nature subjectives.
Enfin, en ce qui concerne l’absence de communication pendant le congé de maladie, le Tribunal a rappelé que le cadre de gestion de l’employeur prévoyait une collaboration entre les gestionnaires et les employés absents. Le supérieur immédiat a témoigné qu’il avait volontairement choisi de ne pas communiquer avec la plaignante, estimant que sa présence aurait pu aggraver la situation. Le Tribunal a conclu que cette décision, bien que discutable, ne constituait pas une conduite vexatoire, d’autant plus que le suivi administratif était assuré par les assurances.
À retenir
Cette décision rappelle que la gestion diligente des incidents et des dénonciations par l’employeur peut jouer un rôle déterminant dans l’évaluation du bien-fondé d’une plainte. Cela constitue un rappel de l’importance de documenter les interventions et de maintenir un cadre de gestion conforme aux obligations légales.
Elle rappelle également que, la perception subjective ne suffit pas, bien que les préoccupations puissent être sincères et fondées sur des expériences personnelles difficiles. Les faits allégués doivent reposer sur des comportements fautifs et non uniquement sur la perception ou les ressentis d’une personne.
Ekpini c. Apptoza Inc., 2025 QCTAT 334
Le plaignant alléguait avoir été victime de harcèlement psychologique de la part de ses gestionnaires, notamment son supérieur immédiat, son chef de projet et son directeur. Il dénonçait des comportements malveillants et méprisants, des plaintes non fondées visant à nuire à sa réputation, ainsi que des menaces de renvoi. Il croyait que son supérieur dénigrait constamment son travail auprès des collègues et posait des gestes intentionnels pour lui nuire, comme débrancher des équipements informatiques ou interférer dans ses commandes.
Le Tribunal administratif du travail a toutefois rejeté la plainte, concluant que le plaignant n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’un harcèlement psychologique. Les faits invoqués reposaient principalement sur des perceptions subjectives, souvent contredites ou nuancées par la preuve. Les gestes des gestionnaires relevaient du droit de gérance légitime, et les plaintes formulées par les collègues étaient fondées, mettant en lumière des comportements inappropriés du plaignant. Ce dernier adoptait une posture de victime, n’adoptait aucune autocritique, et son interprétation des événements ne correspondait pas à celle d’une personne raisonnable. Le Tribunal a ainsi conclu à l’absence de harcèlement psychologique.
À retenir
Cette décision rappelle qu’il faut faire attention à la frontière parfois floue entre le harcèlement psychologique et l’exercice du droit de gestion. Les critiques ciblant une personne peuvent constituer du harcèlement, tandis que celles portant sur des comportements ou des actions relèvent généralement du droit de gestion. Chaque situation doit être analysée selon son contexte spécifique, en gardant à l’esprit que la perception du salarié ne suffit pas à établir le harcèlement — c’est l’évaluation objective des faits qui prévaut.
Mahfoud c. 9063-3090 Québec inc., 2025 QCTAT 978
En 2024, le Tribunal avait reconnu que le plaignant avait été victime de harcèlement psychologique lors de son emploi.[3] Cette décision concerne la requête en fixation des indemnités, à laquelle l’employeur n’a présenté aucune défense ou preuve. Afin d’évaluer la valeur des dommages causés au plaignant, le Tribunal examine plusieurs éléments.
D’abord, il scrute la nature des gestes posés par le propriétaire de l’entreprise ou sa conjointe n’ayant eu que pour but d’humilier le plaignant, notamment par des insultes comme « You can take the money and wipe your *** with it », lui demander pourquoi il arbore a « homeless pant », lui dire d’aller « se faire *** ». D’autres comportements abusifs et hostiles avaient également été retenus par le tribunal dont une surveillance par la caméra excessive.
Ensuite, le Tribunal a également reconnu un préjudice moral important qui s’est traduit par une perte de confiance, un stress chronique, une hypervigilance, et une détérioration de la vie personnelle du plaignant. De plus, n’ayant pas respecté son obligation de prévenir et de faire cesser le harcèlement, l’employeur a été jugé fautif. Ainsi, la gravité des gestes, leur durée et leur impact sur la dignité du plaignant ont justifié l’octroi de dommages punitifs.
À retenir
Les insultes, les menaces, les intrusions sur le lieu de travail et les comportements dégradants, peuvent avoir un impact juridique majeur s’ils s’inscrivent dans un contexte répétitif. La décision du Tribunal rappelle que l’inaction de l’employeur face au harcèlement psychologique peut entraîner des condamnations sévères. En effet, même la gravité de ces gestes peut être sanctionnée non seulement par des dommages moraux, mais aussi punitifs, dont le rôle est de dissuader la répétition de tels comportements en milieu de travail.
Weslati c. 9415-5264 Québec inc., 2025 QCTAT 1767
Cette décision aborde une situation considérée comme étant « une seule conduite grave » qui constitue du harcèlement psychologique. Le plaignant en l’espèce est un employé d’un restaurant qui travaillait de longues heures pour 12 $ de l’heure et était payé de façon hebdomadaire en argent comptant. L’altercation centrale au litige est survenue à la fin de son quart de travail, en soirée, lorsque le plaignant a réclamé son salaire impayé depuis deux semaines, engendrant la colère du propriétaire. Le Tribunal a retenu la version du plaignant, la jugeant vraisemblable, fiable et constante, notamment au regard des jugements criminels connexes. Selon la preuve retenue, le propriétaire a d’abord refusé de payer le plaignant, l’a insulté en le traitant de « chien », l’a empoigné par le manteau et l’a poussé à l’extérieur.
Lorsque le plaignant est revenu pour annoncer qu’il quittait son emploi et réclamer sa paie sous menace d’une plainte à la CNESST, le propriétaire l’a de nouveau agressé verbalement, en criant « sors de là *** », l’a pris par le cou et lui a asséné un coup de poing au visage, tout en lui criant qu’il allait le tuer et l’enterrer. Après être tombé et s’être dégagé, le propriétaire s’est dirigé vers le bar en criant qu’il allait le tuer et a mis la main sur un objet qui semblait être un couteau à shawarma. Terrifié, le plaignant a pris la fuite en voiture, éprouvant des blessures physiques, ainsi qu’un état de choc et d’anxiété qui a nécessité des consultations médicales. Il est à noter que le propriétaire avait déjà été déclaré coupable de voies de fait simples envers le plaignant par la Cour du Québec pour ces mêmes évènements, son appel ayant été rejeté par la Cour supérieure.
À retenir
Cette décision illustre clairement qu’une seule conduite grave, même non répétée, comme une agression physique accompagnée de menaces de mort et d’insultes proférées par l’employeur, peut suffire à constituer du harcèlement psychologique au sens de la loi. Le Tribunal rappelle que la gravité des gestes, leur contexte et l’absence de mesures préventives de la part de l’employeur peuvent justifier l’accueil d’une plainte, même en l’absence de répétition.
[1] Par. 256 et 257.
[2] Par. 262.