28 mai 2025
Jurisprudence Express – Mai 2025
Jurisprudence Express – Mai 2025
Bienvenue à cette première édition de Jurisprudence Express! Dans ce numéro, nous vous proposons un tour d’horizon des décisions marquantes des derniers mois : inconduite sexuelle, harcèlement psychologique, droit de gestion, abus de pouvoir, et plus encore. Des exemples concrets, des nuances juridiques, et des réflexions utiles pour votre pratique.
Une lecture incontournable pour alimenter vos réflexions et appuyer vos interventions juridiques.
Les décisions :
Syndicat des métallos, section locale 6869 c. Arcelormittal, 2025 QCTA 18
Dans cette décision, l’arbitre rejette un grief contestant le congédiement de M. Nadeau, un mécanicien diesel dans une mine de fer. Celui-ci a été congédié en raison des attouchements sexuels commis à l’endroit d’une jeune femme employée à titre d’étudiante, Mme B., lors de sa dernière journée. Il convient de noter que M. Nadeau avait antérieurement été visé par une enquête pour harcèlement et qu’il avait reçu une lettre faisant référence à la politique de l’employeur en matière de harcèlement. Dans les circonstances, l’arbitre décide que la sanction est proportionnelle puisque sa conduite était grave et inacceptable.
En effet, en retenant la version crédible de Mme B., l’arbitre conclut qu’il y a eu des attouchements volontaires des fesses de Mme B. à au moins deux reprises lors d’une seule journée. Plus spécifiquement, bien que les parties ne soient pas appelées à travailler ensemble, M. Nadeau a visité le poste de travail de Mme B. à trois reprises. La première fois, il lui a proposé un câlin pour la réchauffer, ce qu’il a fait sans attendre sa réponse et a glissé ses mains sur ses fesses. Lors de sa deuxième visite, il a touché Mme B. à nouveau en la prenant par les épaules et a une fois de plus glissé ses mains jusqu’à frôler ses fesses. Mme B. lui a d’ailleurs envoyé un message écrit pour lui dire qu’elle n’était pas à l’aise avec le fait qu’il la touche ainsi. L’employeur a mis fin à l’emploi de M. Nadeau suite à son enquête.
À retenir :
Cette décision réaffirme la tolérance zéro des gestes à caractère sexuel entre collègues, et surtout, dans un environnement de travail à forte prédominance masculine. L’arbitre considère d’ailleurs que les gestes de M. Nadeau sont d’autant plus graves puisqu’ils ciblaient une jeune étudiante, et que M. Nadeau, étant un homme plus âgé, avec 27 ans d’expérience au sein de l’organisation et physiquement imposant, avait une forme d’autorité et d’influence sur elle, qu’il a utilisée de façon abusive.
De plus, cette décision rappelle l’importance de la prévention dans un milieu à risque, soit les environnements industriels ou masculins où certaines attitudes (blagues sexuelles, contacts physiques, etc.) peuvent être parfois banalisées.
Affane c. BonTerra Ressources inc., 2025 QCTAT 957
Dans cette décision, le tribunal conclut que le demandeur a été victime de harcèlement psychologique. Plus spécifiquement, le tribunal retient que le demandeur s’est fait appeler, à quelques occasions, « Oussama Ben Laden » devant d’autres collègues. Il qualifie d’ailleurs ces propos de non désirés puisqu’ils sont « dénigrants et racistes », ainsi il conclut que le demandeur a fait l’objet d’une conduite vexatoire. Il souligne que le fait de se moquer d’un collègue en l’appelant plusieurs fois par le nom d’un terroriste international porte atteinte à la dignité de demandeur et crée aussi un milieu de travail néfaste. De plus, le tribunal conclut que l’employeur a manqué à ses obligations prévues à l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail. En effet, le tribunal indique qu’outre l’enquête interne où l’employé à la source de ses propos ait admis les avoir tenus, la preuve des sanctions imposées est très imprécise. Il souligne en plus que le superviseur était au courant de la situation plusieurs semaines avant le dépôt de la plainte formelle et n’a pas agi en conséquence.
Il convient également de noter que le demandeur avait aussi formulé d’autres reproches à l’endroit de ses gestionnaires qui avaient selon lui contribué au harcèlement qu’il vivait au travail, notamment en lien avec des mesures disciplinaires. Toutefois, le tribunal a retenu que ces situations relevaient davantage d’un exercice raisonnable du droit de gestion. Le Tribunal répond aussi à la question pour déterminer si le demandeur a subi une lésion professionnelle et conclu par ailleurs que le congédiement du demandeur n’était pas illégal puisqu’il était lié à l’insatisfaction de l’employeur pendant la période d’essai de celui-ci.
À retenir :
Cette décision confirme que la répétition de propos à connotation discriminatoire peut, à elle seule, suffire à constituer du harcèlement psychologique à l’endroit d’une personne. En effet, des paroles qui peuvent être perçues à tort comme de simples « taquineries » sont, en réalité, objectivement offensantes pour une personne raisonnable, particulièrement lorsqu’elles sont répétées et tenues en présence de collègues.
Ensuite, cette décision rappelle l’importance pour un employeur d’intervenir de façon proactive et sérieuse face à de telles allégations, à défaut, il pourrait se retrouver à risque de ne pas remplir ses obligations légales. En effet, le manque de rigueur lors de l’enquête interne, et l’absence de mesure disciplinaire claire à l’endroit de cet employé, malgré son admission, démontre qu’il n’a pas rempli ses obligations de moyens. Cela rappelle l’importance de documenter les démarches et les mesures internes.
Deraspe c. Résidence Plaisance des Îles inc., 2024 QCTAT 4546
Le tribunal rejette en l’espèce la plainte de harcèlement psychologique du plaignant. Celui-ci, qui est embauché comme chef socio sanitaire et maintenance, allègue que plusieurs évènements survenus entre mai et septembre 2021 constituaient du harcèlement à son endroit, notamment : des modifications apportées à ses tâches, un changement à son horaire de travail, un changement d’attitude de la directrice générale et son refus de le rencontrer, l’imposition d’une réprimande suivie d’une suspension sans salaire pour enquête, ainsi que le fait que la lettre de congédiement lui ait été transmise directement plutôt que par l’intermédiaire de son avocate. Le tribunal retient que les allégations du plaignant correspondent plutôt à un exercice raisonnable du droit de gestion et ne qualifie aucun comportement d’hostile ou de non désiré. D’ailleurs, il souligne que le témoignage du plaignant reflétait une lecture des évènements grandement disproportionnée ou déconnectée par rapport à la réalité objective des faits démontrés. Il convient en outre de mentionner que le tribunal conclut également que le plaignant n’a pas démontré qu’il a subi une lésion professionnelle.
À retenir :
Cette décision rappelle que l’exercice du droit de gestion n’est pas du harcèlement psychologique, tant qu’il est exercé de façon raisonnable, objective et respectueuse. À cet égard, un employeur a avantage à justifier et documenter ses interventions (changements organisationnels, mesures disciplinaires, etc.).
Association des policiers et policières du Québec (APPQ) c. Sûreté du Québec, 2025 QCTAT 74
Dans cette décision, l’arbitre accueille le grief déposé au nom de M. Christian Foisy contre la Sûreté du Québec et conclu que celui-ci a fait l’objet de harcèlement administratif ou d’abus de pouvoir tel que défini dans la politique organisationnelle. Bien que l’arbitre retienne quelques situations qui relevaient de décisions légitimes et de conflits normaux entre M. Foisy et son gestionnaire, il retient également des situations problématiques de la part de son gestionnaire, notamment l’envoi de courriels incluant des insultes telles que « Suis-je un imbécile de qui tu te fous? », une réaction impatiente et exaspérée par le gestionnaire lors d’un appel, et des critiques de la gestion de M. Foisy devant ses employés. Ensuite, l’arbitre retient que l’affectation à l’équipe multi de M. Foisy par son gestionnaire constitue du harcèlement administratif. En effet, alors que les lacunes de M. Foisy constituent un motif concret, la preuve révèle que la procédure interne n’a pas été respectée (M. Foisy n’a pas été formellement avisé par écrit de ses lacunes de manière satisfaisante avant cette affectation, il n’a pas eu l’opportunité de s’améliorer avant cette mesure, et son dossier n’a pas été présenté pour discussion au sous-comité paritaire). La preuve révèle également que cette affection ne semblait pas répondre à un réel besoin organisationnel et a eu un impact négatif sur les conditions de travail de M. Foisy, considérant que la nature du travail ne l’intéressait pas et que le poste offrait moins d’opportunités de temps supplémentaire, le pénalisant financièrement. Ultimement, l’arbitre conclut que le gestionnaire a exercé son droit de gestion de manière « indue » pour nuire à la carrière de M. Foisy.
À retenir :
Cette décision réaffirme qu’un employeur doit non seulement avoir des motifs valables pour intervenir, mais qu’il doit également respecter rigoureusement les politiques et procédures internes applicables. Même en présence de lacunes réelles chez un employé, toute mesure administrative doit être documentée, progressive et conforme aux mécanismes prévus. À défaut, l’intervention peut être perçue comme arbitraire ou abusive, surtout si elle entraîne une détérioration des conditions de travail ou semble motivée par des considérations personnelles plutôt qu’organisationnelles.