05 juin 2025

L’impact du harcèlement psychologique sur la santé mentale : Une décision qui reflète une tendance jurisprudentielle émergente

L’impact du harcèlement psychologique sur la santé mentale : Une décision qui reflète une tendance jurisprudentielle émergente

Une décision récente souligne l’importance cruciale de la prévention du harcèlement au travail et de son impact profond sur la santé mentale, et reflète une tendance jurisprudentielle en matière de réclamations pour lésions psychologiques.

Ces dernières années, les questions de santé mentale en milieu de travail ont fait l’objet d’une attention accrue. Les modifications apportées aux lois du travail[1] soulignent la nécessité d’adopter des mesures proactives pour prévenir le harcèlement, identifier et gérer les risques psychosociaux, et reconnaître et traiter les lésions psychologiques liées au travail[2]. La décision rendue dans l’affaire Levesque et Municipalité régionale de comté des Collines-de-l’Outaouais[3] illustre l’impact important que l’exposition prolongée à des comportements de harcèlement peut avoir sur la santé mentale d’un employé et démontre comment de tels incidents peuvent mener à un environnement de travail toxique. De plus, cette décision clarifie l’application de la théorie du « crâne fragile » dans ce contexte.

En 2021, M. André Levesque, inspecteur au service de police des Collines-de-l’Outaouais, présente une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), alléguant avoir subi du harcèlement psychologique qui l’a amené à souffrir d’une dépression majeure et d’une récidive de stress post-traumatique. Dans un premier temps, la Commission rejette sa demande en mai 2022, mais M. Lévesque persiste en affirmant que le comportement du directeur du service de police est à l’origine de sa lésion psychologique. Le 2 février 2024, le Tribunal a accepté sa réclamation, reconnaissant que le comportement du directeur ne faisait pas partie du cadre normal du travail et était la cause de la lésion psychologique de M. Lévesque. Bien que l’existence d’une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles repose sur la constatation d’un « événement imprévu et soudain », plutôt que sur le harcèlement psychologique tel que défini par la Loi sur les normes du travail, cette décision reflète un courant jurisprudentiel récent concernant les lésions psychologiques dans le contexte du harcèlement au travail et d’un environnement de travail toxique[4].

La décision du Tribunal reflète la reconnaissance croissante de l’impact d’une culture de travail toxique sur le bien-être des employés. Dans cette affaire, le comportement du directeur a contribué à créer un environnement de travail hostile et malsain qui a eu des répercussions négatives sur les employés. La plainte de M. Levesque fait état de plusieurs cas de comportement agressif et non professionnel de la part du directeur. Le directeur a fréquemment fait des scènes, criant, jurant et lançant des objets, créant ainsi une atmosphère tendue. Il a également humilié des employés en public, en leur adressant des critiques vagues et dégradantes sans leur donner de rétroaction constructive. Ces actions ont non seulement perturbé le milieu de travail, mais ont également favorisé un climat de méfiance et de division entre les membres du personnel. En outre, le directeur a ignoré les tentatives des employés de remédier à la situation et n’a pas modifié son comportement malgré des demandes répétées. Lorsque l’employé a demandé de l’aide au directeur municipal, celui-ci a évité toute communication directe, ce qui a renforcé l’isolement de M. Levesque. Par ailleurs, le mépris du directeur pour le bien-être de ses employés était évident lorsque le médecin de M. Levesque a envoyé une lettre en août 2020, avertissant la municipalité de la détérioration de l’état de santé du travailleur. Malgré ses préoccupations évidentes, l’employeur n’a pris aucune mesure.

Cette décision clarifie également la façon dont les conditions psychologiques préexistantes sont prises en compte dans les demandes d’indemnisation pour accident du travail. Le Tribunal a jugé que même si M. Levesque souffrait d’un trouble psychologique préexistant, cela ne l’empêchait pas d’invoquer une lésion psychologique liée au travail. Le facteur clé était de savoir si l’environnement de travail avait contribué à l’aggravation de son état. En appliquant la théorie du « crâne fragile », les antécédents de santé mentale d’une personne doivent être pris en compte pour déterminer si un accident du travail s’est produit, en prenant le travailleur tel qu’il est au moment de l’événement et en analysant la situation à la lumière de ses traits de caractère et de sa personnalité. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que le comportement abusif du directeur a joué un rôle déterminant dans le déclenchement de la lésion psychologique de M. Lévesque. Avant l’arrivée du directeur, M. Lévesque était un employé très compétent depuis de nombreuses années et sa condition ne l’empêchait pas d’accomplir son travail.

Le Tribunal a déterminé que le 2 février 2021, M. Lévesque a subi une lésion psychologique liée au travail en raison du harcèlement dont il a fait l’objet. L’effet cumulatif de ces événements, qui se sont produits sur une période de trois ans, a été objectivement traumatisant. L’état psychologique de M. Lévesque s’est considérablement détérioré. Il s’est isolé socialement, évitant ses collègues et se sentant anxieux à l’idée de retourner au bureau. Son anxiété l’a amené à travailler de la maison, vérifiant ses courriels la nuit pour éviter d’être pris en défaut. Il est arrivé qu’il soit tellement submergé par le stress qu’il rebrousse chemin après avoir tenté de se rendre au bureau. Le Tribunal a conclu que le style de gestion du directeur était déraisonnable et malveillant, qu’il violait les principes de bonne foi et qu’il perturbait le personnel. Ces actions étaient non seulement injustifiées pour le bon fonctionnement du service de police, mais elles ont également causé un grave préjudice à la santé mentale de l’employé.

Un moment charnière pour la santé mentale en milieu de travail

Cette affaire nous rappelle que nous sommes à un tournant dans notre façon de considérer le harcèlement au travail et son impact sur la santé mentale. Elle reconnaît que les blessures psychologiques causées par le harcèlement peuvent être tout aussi dommageables que les blessures physiques. La décision du Tribunal confirme qu’il est important de s’attaquer aux cultures toxiques en milieu de travail et que l’omission de l’employeur d’agir malgré sa connaissance d’une situation problématique vécue par ses employés constitue de la négligence.

Alors que notre compréhension du bien-être au travail continue d’évoluer, cette affaire souligne la nécessité d’accorder une plus grande attention à la santé mentale et de favoriser des cultures de travail plus positives, respectueuses et empathiques. En reconnaissant l’importance de la sécurité physique et psychologique des employés, les organisations peuvent contribuer à créer un environnement de travail plus sain et plus productif pour tous.


[1] Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1, Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ c S-2.1, Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ c A-3.001.

[2] Veuillez consulter nos aide-mémoire pour plus d’information : S’adapter aux changements apportés par la loi 4 et Comprendre et identifier les risques psychosociaux au travail

[3] 2024 QCTAT 2323

[4] Pétrin et CSSS de Gatineau, 2019 QCTAT 1936, Smith et Centre de services scolaire des Affluents, 2023 QCTAT 2907, Poirier et Andritz Hydro Canada inc., 2025 QCTAT 963

Article par